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Petite histoire du meuble provençal

24 septembre 2014 par Eric LOMBARDI

Parler d’UN style de mobilier provençal est une gageure. Ce serait nier les différences géographiques ou historiques et imaginer une unité d’influences, de matières premières, de méthodes de fabrication dans une région étendue sur 7 départements et couvrant une surface de 38 000 Km².

Un peu de géographie

Pour saisir la nuance, il faut différencier avant tout la Haute de la Basse Provence. La démarcation entre les deux parties suit en grande partie les frontières des départements actuels et court le long des plateaux de Forcalquier, Manosque, Valensole, Canjuers et le haut pays niçois. Vous trouverez ci-dessous une carte dans laquelle la Haute Provence est colorée en vert, la basse en jaune.

Carte de la démarcation en basse et haute Provence

Carte de la démarcation en basse et haute Provence

La « haute », continentale, porte avec elle la rigueur alpine. La « basse », avant tout maritime, est exubérante. En Basse Provence, la richesse du mobilier frôle le maniérisme. On y trouve souplesse des lignes et élégance. Les moulures et sculptures ouvragent les meubles. En haute Provence, c’est la sobriété des lignes, la robustesse, le simple confort, en un mot la rigueur qui prédomine.

Histoire et influences

Les fabricants provençaux de mobilier ont subit plusieurs influences provenant:
– D’Espagne : N’oublions pas qu’au XIIème siècle, la Provence est gouvernée par les comtes catalans de la maison de Barcelone. On va donc trouver les tables pliantes, le travail du cuir et la ferronnerie.
– D’orient : Suite aux Croisades avec les coffres, puis au XVIIIème les incrustations de nacre et le »radassié » copiant le divan à la turque.
– D’Italie : Les Comtes de Provence sont rois de Naples. Dès le XIIIème siècle, utilisation de la polychromie, apparition des premiers dressoirs, des chaises paillées ou recouvertes de cuir.

La production de mobilier a évolué dès le XIIIème siècle. Par exemple, les premières panetières n’étaient qu’une vulgaire caisse de bois blanc et ce n’est qu’à partir du XVIème que l’on trouve des ateliers spécialisés dans leur fabrication. Le XVIIIème voit l’apogée du mobilier provençal avec les styles Louis XV et Louis XVI. On parlera alors de styles d’Arles, de Fourques. Au XIXème siècle, l’accent sera mis sur la décoration à outrance, puis ce sera le déclin.

Les matières premières

Au moyen-âge, les bois utilisés sont le sapin, le hêtre et le peuplier alors que le noyer ne sera vraiment employé qu’à partir du XVIème siècle. Les fustiers, aujourd’hui appelés ébénistes, utilisent également le chêne, le châtaignier, le mûrier car il ne subit pas l’attaque des vers, le cerisier, le sorbier, l’amandier, le poirier mais aussi le saule, l’aulne et le tilleul. En haute Provence, on va plutôt travailler logiquement les essences endémiques comme le mélèze et le sapin. Les bois exotiques serviront eux surtout en marqueterie.

Le travail du fustier

Dans l’ensemble, le volume du mobilier reste assez modéré. Le fustier exerce son talent sur des surfaces relativement restreintes et les petits éléments foisonnent. Seuls le »tamisadou » (blutoir), la « gardo raubo » (armoire) et la « mastro » (pétrin) échappent à la règle.

En basse Provence, les artisans montrent un goût certain pour les formes ondulées, les courbes, les galbes et les cintres. En Haute Provence au contraire, on préfère les lignes droites et la rigueur du dessin géométrique.
Les fustiers adaptent à chaque usage un appareil au départ purement fonctionnel, l’habillant de sorte qu’il se présente sous l’apparence d’un beau meuble. Cela est vrai pour le « tamisadou » (blutoir) mais aussi pour le « manjadou » (garde-manger), la « paniero » (panetière), l' »escudelié » (présentoir à vaisselle), l' »estanié » (présentoir à étains), le « veiriau » (présentoir à verres) et le « radassié » (canapé régional). C’est le cas aussi pour la « saliero » (boîte à sel), la « fariniero » (boîte à farine) et la « couteliero » (présentoir à couteaux) qui sont munis de piétements au même titre que la « paniero« . L’armoire sera surmontée d’une corniche en chapeau de gendarme très moulurée de même que les buffets à deux corps et les « cantouniero » (encoignures). On ajoutera des frontons aux panetières et aux étagères spécialisées telle l' »escudelié« ; en Haute Provence, les bahuts seront surmontés d’un modèle triangulaire. Les portes sont cintrées, ajourées et surtout moulurées, parfois munies de fuseaux permettant l’aération des denrées. Ces fuseaux décorent trois des côtés de la panetière qui sera munie à son sommet de bobèches assurant la décoration. La porte elle même sera sculptée. Chez Frédéric Mistral, par exemple, on y trouve sa mère représentée en glaneuse.
Les fustiers rivalisent d’imagination pour la décoration. Par exemple, l’armoire, le buffet, l’encoignure et quelques autres présentent une traverse inférieure chantournée et quelques-fois même ajourée. Les éléments de décor foisonnent. A la coquille s’ajoutent les fleurs, les bouquets, les épis, les rameaux d’olivier, les instruments de musique, la soupière, parfois des cœurs entrelacés, des pigeons se becquetant et même des personnages.

Détail du décor d'un pétrin provençal du XIXème siècle

Détail du décor d’un pétrin provençal du XIXème siècle

 

Les différents meubles et accessoires

La « gardo raubo » (armoire) que la mariée apportait en dot était particulièrement traitée, elle qui n’était jusqu’au XIVème qu’un simple placard mural. Ce n’est qu’au XVIème qu’elle devient meuble à part entière. En noyer, le plus souvent, portes et panneaux sont moulurés et sous la corniche et à la traverse inférieure sont sculptés des motifs déjà évoqués.

Armoire provençale début XIXème siècle en noyer - Crédit Antiquités Rigot et Fils

Armoire provençale début XIXème siècle en noyer – Crédit Antiquités Rigot et Fils

La « taubo fermado » (buffet bas), aussi nommé crédence, contient la vaisselle. Elle servait de table à la femme qui mangeait debout, seuls les hommes étant assis. On rencontre en Haute Provence le buffet à deux corps qui contient vaisselle, livres, etc.. Il se compose de deux étages, le supérieur pouvant être en retrait. Le buffet à glissants présente lui aussi le deuxième étage en retrait. Sa spécificité, ce sont à l’étage les portes coulissantes permettant de montrer les plus beaux objets du ménage.

Buffet à glissant de style Louis XV en noyer - Photo internet

Buffet à glissant de style Louis XV en noyer – Photo internet

La « taulo » (table) n’est au début, et jusqu’au XVème siècle, constituée que d’un plateau posé sur deux tréteaux. Elle deviendra meuble, restant toutefois simple quoique pourvue de quatre ou six pieds. Le plateau déborde de cinq centimètres environ. Au XVIIIème siècle, les pieds deviendront galbés et terminés en os de mouton ou en colimaçon.

Les sièges sont de simples tabourets au départ, ensuite coffres à dossiers, l’archibanc en est le prototype. A partir du XVème siècle, l’assise se présente sous la forme d’un treillis de cordes. Ce n’est qu’au XVIème siècle qu’à l’imitation de l’Italie, les chaises seront paillées d' »aufo » ou auphe (sparte), puis de joncs et enfin de paille de seigle ou d’orge.

Le « radassié » est une sorte de divan à trois ou quatre places. Il permet la discussion mais aussi l’indispensable sieste.

Radassié cerisier du 19ème siècle et une scène d'intérieur - Photos internet

Radassié cerisier du 19ème siècle et une scène d’intérieur représentant une femme assise sur un radassié – Photos internet

La « cantouniero » (encoignure) qui naît sous Louis XV peut être fixée ou mobile. On en trouve souvent une paire de part et d’autre de la cheminée. Elle sert au rangement de la vaisselle. Elle est le plus souvent coiffée d’une corniche en chapeau de gendarme.

Le « manjadou » (garde manger). Très rare, il n’est à l’origine qu’un placard mural. Il devient meuble sous Louis XV, sa porte très travaillée est ornée de fuseaux permettant l’aération de la nourriture, des ferronneries ciselées et des gonds décorent le bois. Souvent le bas comporte un tiroir.

La « mastro » (pétrin) faisant aussi partie de la dot de la mariée. Simple auge à l’origine, elle est posée sur un buffet à deux portes. Au XIXème siècle, ce sera sur une sorte de table dont les pieds sont dégagés, les traverses ultra décorées. On atteint là le maniérisme. Il sert bien sûr à pétrir la pâte, chaque famille faisant encore son pain, mais aussi à le conserver. De plus, on y sale le cochon.

La « paniero » (panetière). Simple caisse de bois blanc à l’origine, elle devient une cage ouvragée, quasiment le meuble le plus précieux de la maison. La façade et les deux côtés sont constitués de fuseaux ciselés, les traverses supérieures et inférieures finement sculptées de motifs floraux de rameaux feuillus. La petite porte présente souvent une gerbe d’épis de blé, le fronton s’orne de cinq ou sept bobèches sortes de plumets. Les pieds sont en colimaçon. C’est le meuble le plus beau, le plus abouti.

Pétrin accompagné de sa panetière - Photo internet

Pétrin accompagné de sa panetière – Photo internet

Le « tamisadou » (blutoir) est très rare vu ses dimensions plus qu’imposantes, jusqu’à 2 mètres de long. Il se présente comme un buffet. Les portes cintrées cachent le mécanisme de tamisage de la farine. Seule sur le côté, la manivelle de bois indique son usage.

Le « reloge » (horloge) présente un ventre souvent violonné, par contre la corniche est droite, moulurée.

Il nous faut maintenant évoquer quelques meubles, au départ simples étagères, qui au fil du temps sont devenus meubles à part entière à la décoration plus raffinée. Ce sont les présentoirs.

Le « dreissadou » (vaisselier) à proprement parler n’existe pas. Néanmoins pour présenter les plus belles faïences, on en trouve en Haute Provence et dans le Vaucluse. Il s’agit en Basse Provence de l' »escudelié« , simple présentoir à vaisselle, muni d’un tiroir dans lequel on range les couverts. Les étains sont présentés sur l' »estanié » qui au fil du temps va avoir trois étagères et un fronton très ouvragé. Enfin, les plus beaux verres se trouvent dans une étagère plus petite et fermée, devenue vitrine au fil du temps, c’est le « veirau« .

Veirau en noyer début XIXème - Crédit Philippe GLEDEL

Veirau en noyer début XIXème – Crédit Philippe GLEDEL

Les premiers coffres recouverts de cuir seront au XIIIème siècle peints à la florentine. Plus tard, lourds et massifs, ils présenteront façades et côtés moulurés et décorés.

Le « burèu » ou « escrivanié » (bureau) est en fait un secrétaire muni de tiroirs permettant d’y ranger les papiers importants. Il est clos grâce à l’abattant.

La « coumodo« (commode) à deux ou trois tiroirs n’apparaît qu’à la fin du XVIIème siècle. Elle devient très rapidement l’apanage d’une certaine classe sociale. Elles seront bien évidemment de style Louis XV, devenant même maniérées.

Quant au lit, « litocho« , il vaut mieux utiliser le terme de chassis de bois blanc à planches ou à cordes. On commence à le décorer seulement au XVIIIème siècle. C’est un plateau à piétements droits avec un dossier à la tête.

Le « brès » (berceau) est un moïse, auge peu profonde montée sur deux patins permettant le balancement. Il en existe un modèle plus élaboré dans les familles les plus aisées. On trouve aussi le « brusc« (ruche), caisse de bois dans laquelle l’enfant en bas âge tient debout, tête et bras dehors, pouvant être suspendu au mur ou à une branche. Enfin le « courrieu« , ancêtre du youpala qui permettait à l’enfant d’apprendre à marcher.

La « taulo de niue » (table de nuit) apparaît au début du XVIIIème siècle, c’est une niche sur pieds de biche composée de deux tablettes l’une réservée au vase de nuit, l’autre au chandelier et au verre à eau.

On trouve encore la chiffonnière de bois précieux pour les travaux de couture et de broderie et dans le salon les tables de jeux. On ne peut passer sous silence trois petits meubles bien spécifiques:
La boîte à sel « saliero« , celle à farine « fariniero » et le porte couteaux « couteliero« , ouvragés, à piétements pour être posés bien qu’habituellement suspendus au mur. On peut également évoquer les consoles »counsolo« , les globes de mariée, les fontaines « font » surtout de faïence, mais aussi d’étain ou de cuivre.

Farinieiro et couteliero du XIXème siècle - Crédit Philippe Glédel

Farinieiro et couteliero du XIXème siècle – Crédit Philippe Glédel

Dans la « chamineio » (cheminée), les »cafio » (chenets), le « cremascle« (crémaillère) et la « tarasco« , quart de sphère en cuivre pour conserver braises et cendres à l’abri. Sans parler de la kyrielle de poteries nécessaires à la cuisson des aliments.

Il y a enfin les meubles en bâti, tel le « dreissadou » (potager). Inséré sous la hotte de la cheminée, c’est une véritable cuisinière à charbon et même une cuisine aménagée avant l’heure. Son plan de travail en carreaux vernissés présente trois ou quatre trous pour mijoter daube, civet et autres. Il en existe même un rectangulaire pour la cuisson du poisson. La pile, ancêtre de l’évier, est creusée dans un bloc de marbre.

En conclusion, beau, harmonieux, fort bien équilibré, pour tout dire charmant, voilà le meuble provençal.


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